Groupe Medialternatif – Retrouvez un article de Gotson Pierre dans le dossier Spécial 10 ans d’Altermondes !
Haïti : le temps s’est-il arrêté ?
Six après le mortel séisme du 12 janvier 2010, qui fit plus de 300 000 morts et 1,2 million de sans-abris, la question du logement et de la reconstruction semble la grande oubliée des politiques, trop occupés par leurs campagnes électorales. Les familles, comme les institutions sociales et privées, en ont pris la mesure et c’est grâce à leur action que Port-au-prince peut parfois donner l’impression d’un renouveau. Reportage.
Cinq après le mortel séisme du 12 janvier 2010, qui fit plus de 300 000 morts et 1,2 million de sans-abris, la question du logement et de la reconstruction semble la grande oubliée des politiques, trop occupés par leurs campagnes électorales. Les familles, comme les institutions sociales et privées, en ont pris la mesure et c’est grâce à leur action que Port-au-prince peut parfois donner l’impression d’un renouveau.
Martissant, vaste quartier populaire du secteur sud de la capitale, Port-au-Prince, accueille une nouvelle place publique. Allée pavée, espace vert, palmes décoratives, c’est dans ce petit parc que les jeunes de l’agglomération se donnent rendez-vous pour réviser leurs cours ou se détendre. Inaugurée le 17 septembre 2015, cette place a été construite dans le cadre d’un programme mis en oeuvre par l’Unité de construction de logements et de bâtiments publics (UCLBP), avec des fonds de l’Union européenne et de l’Agence française de développement (AFD). Pour Clément Bélizaire, le directeur de l’UCLBP, l’objectif poursuivi est l’amélioration du cadre et des conditions de vie des populations de Martissant, où de nombreux logements ont été détruits par le terrible séisme du 12 janvier 2010, qui a dévasté la capitale.
Blessures ouvertes
La « Place de l’Unité » détonne avec la configuration d’ensemble, qui laisse l’impression d’un quartier abandonné. Où les traces des sévères destructions d’il y a cinq ans demeurent comme des blessures ouvertes, tandis que la plupart des rues, défoncées, ne permettent pas l’évacuation des eaux usées, ce qui ajoute à l’insalubrité causée par des déchets rarement ramassés. Celles et ceux qui traversent le sud de Port-au-Prince peuvent faire la différence entre le niveau d’intervention publique à Martissant et l’attention portée à Pétionville, quartier huppé de la périphérie pourtant moins touché par le tremblement de terre. Avec ses rues et trottoirs refaits, Pétionville se profile comme un joyau où se sont établis, ces cinq dernières années, pas moins de trois grands hôtels qui offrent aux touristes, aux hauts fonctionnaires étrangers et aux membres de l’importante diaspora haïtienne, plusieurs centaines de chambres.
Les places publiques de Pétionville et d’autres lieux de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, envahies par plus d’un million de sans-abris, au lendemain de la catastrophe, ont été libérées. Il en est de même du Champ de Mars, principal lieu de promenade au coeur de la capitale. Quoique lents aux yeux des Port-au-Princiens, les travaux de réhabilitation de quelques édifices ont été achevés et d’autres se poursuivent. Cet espace héberge même des évènements culturels ou festifs, comme la XIIe édition du Festival des arts de la Caraïbe (Carifesta), dont Haïti était le pays hôte du 21 au 30 août 2015. Venant d’une vingtaine de pays de la Caraïbe, les participants ont été accueillis dans la réjouissance au coeur de la capitale, avec beaucoup de couleurs et de décibels, avant de se rendre dans plusieurs autres villes qui abritaient des activités. Même si, en se déplaçant vers le nord et le sud du pays, ils n’ont pas remarqué des camps de déplacés souvent situés loin des grandes voies, ils n’ont pas pu rater les nouvelles agglomérations anarchiques qui ont poussé comme des champignons après le tremblement de terre. Lorsqu’il a fallu libérer les lieux publics et les propriétés privées occupées.
Canaan : l’anarchie
Situé dans le nord de la capitale, Canaan est symbolique de ces nouveaux « quartiers ». Cinq mille hectares de terres envahis par des dizaines de milliers de sans-abris lorsque cette zone a été déclarée d’utilité publique en mars 2010. Les organismes internationaux d’aide qui voulaient organiser là-bas la relocalisation des sinistrés du séisme ont vite été débordés. Aujourd’hui, les collines de Canaan qui longent la côte ouest sont couvertes de constructions anarchiques qui s’étendent à perte de vue. Tout est bon pour se créer une nouvelle demeure : tôles, bâches, matériaux de récupération… Les pentes érodées, sans végétation, offrent leur poussière à tous les vents alors que, durant la plus grande partie de la journée, le soleil tape sans merci. Au fur et à mesure, Canaan se relie à la capitale, notamment par les nombreux circuits de transports publics, encore précaires, qui ont vu le jour pour faciliter les déplacements. Ceux qui vivent ici ont laissé leur vie sociale quelque part dans les quartiers populaires de la capitale. Abondant, le commerce se décline en mille petits étals et trouve à Canaan un vrai marché. Ceci est valable également pour les sectes religieuses qui y plantent leurs drapeaux. Périodiquement, la police intervient et procède à des expulsions violentes, comme en février 2014, lorsque 126 familles ont été arrachées à leur sommeil au lever du jour par des bulldozers, se souvient Reynel Sanon, dirigeant de la Force de réflexion et d’action sur la question du logement (Frakka). Cette organisation, qui accompagne les sans-abris, estime que les difficultés d’accès au logement en Haïti ne sont pas apparues avec le séisme. Ce dernier n’a fait que les aggraver et les rendre plus visibles. Elle met en avant le droit au logement et veut amener l’État à mettre en oeuvre une vraie politique de logement social.
L’accès au logement faisait partie des mirobolantes promesses du président Michel Martelly lorsqu’il menait campagne en 2010. Cinq ans plus tard, il se donne un satisfecit et tente de capitaliser sur la libération des espaces publics squattérisés au lendemain du tremblement de terre. Il affirmait alors que des milliers de maisons préfabriquées, importées de l’étranger, seraient distribuées aux sinistrés. Des « paroles vent » qui ne collent nullement avec la réalité, se rendent aujourd’hui compte les Haïtiens, au moment où le mandat de Martelly tire à sa fin.
Reconstruction à petite échelle
Les familles ont donc pris sur elles le poids de la reconstruction de leur demeure. Les institutions privées et sociales ont fait de même. Et c’est, en grande partie, ce qui donne l’impression que le visage de la capitale a changé depuis cinq ans. Des micro-expériences durables ont aussi vu le jour, comme la mise en oeuvre, par l’Institut de technologie et d’animation (Iteka), de la construction de 1 700 maisons définitives à Gressier, dans le sud de la capitale (3). Bénéficiant de l’aide financière de la Coopération canadienne, les dirigeants de l’institution, en interaction avec la population locale, mettent l’emphase sur la reconstruction des communautés. Les personnes déplacées qui ont trouvé refuge à Hinche, à une centaine de kilomètres à l’est de la capitale, ont pu intégrer un village écologique dont les habitants sont aujourd’hui fiers de se présenter comme des agriculteurs. Ils vivent dans quatre villages mis en place par le Mouvement paysan de Papaye (MPP), avec l’aide d’organisations de solidarité, pour accueillir des rescapés du séisme.
Lourde tâche
Que changeront les élections ? La question revient dans le contexte d’une campagne présidentielle vide de thématiques de fond. Plus de cinquante candidats se sont pressés pour entrer dans un palais qui n’existe plus, effacé par le séisme. Aucun véritable projet de reconstruction n’a vu le jour. Le logement ne faisait pas partie des débats électoraux, qu’ils soient présidentiels, législatifs, municipaux et locaux. Si les enjeux sont importants, l’optimisme n’est pas vraiment au rendez-vous. Le nouveau président, qui prendra ses fonctions en février 2016, aura la lourde tâche d’améliorer (enfin !) les conditions de vie dans le pays. Le moment est plus que venu pour le temps de reprendre son cours.