Par Colette Lespinasse
Les protestations violentes enregistrées en Haïti au début du mois de juillet 2018 contre l’augmentation des prix des produits pétroliers témoignent d’un refus grandissant chez une bonne partie de la population haïtienne de ne plus continuer à payer des taxes sans services en contrepartie. Déjà en 2017, la présentation du budget national au Parlement et les nouvelles taxes qui l’accompagnaient avait suscité un grand débat au sein de l’opinion publique. De plus en plus, les citoyens et citoyennes questionnent l’utilisation que font les autorités des ressources du pays, car ils assistent à la détérioration grandissante des services publics et à une grande incapacité de l’Etat à faire face à ses responsabilités les plus élémentaires.
Dans la foulée, aidée des réseaux sociaux, la population haïtienne apprend chaque jour avec stupéfaction comment de hauts dignitaires de l’Etat, qu’ils soient dans l’Exécutif, le Législatif ou le judiciaire, perçoivent chaque mois du trésor public d’importantes sommes d’argent pour toutes sortes de privilèges : résidences huppées, montants élevés pour l’achat de cartes téléphoniques, de stock de carburant ou tout simplement pour payer de nombreux consultants qui ne produisent rien. Entretemps, la grande majorité de la population croupit dans la misère la plus abjecte avec moins de deux(2) dollars par jour pour vivre. Les gens commencent à dire non à un tel système et demandent des comptes. Ils apprennent à identifier les différentes stratégies utilisées par de grands et petits manitous, de l’intérieur comme de l’extérieur de l’Etat, pour détourner les fonds publics à des fins personnelles.
En effet, la pauvreté n’a cessé d’augmenter en Haïti. Le pays est connu depuis longtemps comme étant le plus pauvre de l’Amérique.
La corruption, petite et grande, et le gaspillage privent Haïti d’une bonne partie de ses ressources. Ils empêchent au pays de consacrer assez de moyens à la satisfaction des multiples besoins de la population. Alors que l’aide internationale se raréfie, l’Etat a tendance à se retirer chaque jour davantage de ses obligations de garantir les droits fondamentaux de sa population comme l’accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’alimentation, etc.
L’un des dossiers de corruption qui fait couler beaucoup d’encre et de salives est celui des fonds Petrocaribe, ce programme de vente de pétrole à des conditions préférentielles entre le Vénézuela et certains pays de la région Caraïbe et d’Amérique Latine, dont Haïti. Au cours des 10 dernières années, selon des sources combinées, plus de 3 milliards de dollars de ces fonds se seraient volatilisés en Haïti sans que personne ne puisse informer clairement de leur utilisation. Il y a eu certes, ici et là, quelques projets, la plupart inachevés, sans aucune articulation claire. Cependant, en aucune façon, ces initiatives ne peuvent justifier l’engagement de tels montants.
Aujourd’hui, la nation demande des comptes sur l’utilisation des fonds Petrocaribe et sur d’autres fonds qui alimentent le trésor public. Mais comme réponse, elle ne reçoit que le mépris des autorités face à leur quête d’information et de justice. Tout indique qu’il y a une sorte de complicité au plus haut niveau pour empêcher que lumière soit faite sur ces affaires. Au niveau de la Présidence, l’on considère comme « persécution politique », toute velléité de vouloir fouiller dans le dossier Petrocaribe. Au niveau du Parlement, le Sénat a déjà préparé deux rapports qui épinglent de hauts dignitaires de l’Etat. Mais des groupes au Parlement proches du pouvoir, font tout pour que ce dossier n’avance pas.
Quid de la société civile, que fait-elle? Elle commence à bouger : les citoyens, parlent, discutent de la gestion des ressources du pays. Plus d’une cinquantaine de citoyens et citoyennes ont déjà porté plainte pour essayer d’interpeller les gestionnaires du Fonds Petrocaribe. D’autres organisent ici et là des manifestations pour demander des comptes, comme ce fut le cas, le 7 août dernier, quand des organisations de droits humains ont marché dans les rues de Port-au-Prince contre la corruption. Utilisant les réseaux sociaux, des groupes de citoyens et citoyennes tentent de mobiliser l’opinion publique nationale et internationale, car selon eux, il s’agit là d’un grave problème de droits humains.
Petit à petit, la pression monte, mais les organisations tardent encore à former un grand front commun contre la corruption. Entretemps, des voix s’élèvent pour demander une révision complète du système de gestion du pays, c’est-à-dire de l’Etat, car selon eux, à travers ses structures, ses formes de gouvernance, l’état Haïtien, encourage le pillage et le gaspillage des ressources du pays. Dans un contexte de choix et de ratification d’un nouveau premier ministre, la question de la corruption est au cœur des débats, si bien que le président de la République a dû revenir sur ses positions premières en demandant au premier ministre désigné de travailler sur le dossier des fonds Petrocaribe.
Sans une réforme de l’Etat avec de nouvelles orientations claires, sans des décisions fermes concernant la gestion des ressources du pays, sans une grande mobilisation sociale pour l’allocation de ressources suffisantes à la satisfaction des besoins réels de la population, les prédateurs des fonds publics continueront de piller et de détourner. Haïti, finira-t-elle par sortir de ce cercle vicieux ?