L’arbre de la vie
Une rentrée presque normale en Haïti
Les enfants de Francis ne sont pas tous rentrés en classe ensemble. Ce père de famille espace les rentrées scolaires de ses cinq enfants. Parce que cela coûte cher. Entre temps, il va couper du bois – juste un peu, quatre ou cinq gros arbres – le débiter en planche et le vendre à la ville. Car ici, dans le sud-est montagneux d’Haïti, la rentrée scolaire coûte cher : 150 euros par enfant. Alors, les plus jeunes enfants de Francis attaquent la rentrée avec quelques semaines de retard.
« Pour payer une grosse dépense, les gens coupent des arbres et parfois ils se servent chez le voisin et font du charbon de bois. Discrètement, presque honteusement, parce que cela veut dire qu’on n’a pas d’argent d’avance. » nous raconte David Millet, agronome. Lui, le Finistérien installé en Haïti depuis 6 ans pour l’association Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières voudrait pourtant que les paysans ne coupent pas leurs arbres. Parce qu’ils sont indispensables pour éviter, qu’à chaque saison des pluies, l’eau ne creuse un peu plus la montagne. Car c’est autant de terre fertile perdue à jamais pour les cultures vivrières.
« Le reboisement, complète David Millet, ce n’est pas qu’une question technique d’aménagement des sols et de plantation d’arbres. Si on veut que les conditions changent réellement pour les paysans, il faut les aider à améliorer les chemins, les pistes, les routes. Si on veut qu’ils restent sur place, il faut une école par exemple. » C’est fait. Alors qu’il n’y avait rien pour une population de 12 000 habitants, il y a maintenant de beaux bâtiments en durs, pour élèves de 4 à 18 ans. Pour les classes supérieures, les lycéens vont encore à Cap Rouge à pied. Près de deux heures de marche le matin et autant le soir…
Difficile de s’imaginer dans 10 ans lorsqu’on vit au jour le jour
Pour choisir les terrains à reboiser, les représentants des paysans discutent avec Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières et son partenaire local, respecté dans région. L’association demande à chaque paysan de s’engager, d’une part à ne pas couper l’arbre planté avant dix ans, et surtout d’entretenir le terrain. En contrepartie, le paysan recevra chaque année une compensation financière.
« Soyons honnêtes, c’était difficile pour eux de se projeter à dix ans lorsqu’on a du mal à vivre au jour le jour. La démarche que nous menons se fait donc patiemment et surtout de manière concertée avec les communautés de paysans » tient à préciser David Millet. Aujourd’hui, il semble que les paysans aient compris que leur intérêt et celui de leurs enfants passaient par la préservation de la montagne.
Dominique Gerbaud, ancien grand reporter et rédacteur en chef de La Croix