Mercredi, 11 Septembre 2013 – Article de la FOKAL
Le réseau de correspondants d’Alterpresse se consolide
Depuis septembre 2010, FOKAL et d’autres partenaires (*) soutiennent l’agence en ligne AlterPresse dans ses efforts pour développer un réseau de correspondants de presse écrite en Haïti. « Les correspondants sont présents dans la plupart des départements et dans les zones frontalières avec la République dominicaine. Certains sont très dynamiques, et les femmes particulièrement », explique Gotson Pierre, directeur du Groupe de communication sociale Médialternatif dont AlterPresse fait partie.
Développement durable, agriculture, initiatives locales, patrimoine, santé, problématique de genre, éducation, état civil, échanges transfrontaliers, transport, problèmes migratoires, commercialisation, politique : autant de sujets traités par les correspondants. Tout en s’interrogeant sur des manquements institutionnels, les textes des correspondants réunis sous la rubrique « à travers Haïti » donnent à découvrir des potentialités agricoles, environnementales et touristiques insoupçonnées et susceptibles d’être valorisées pour une meilleure intégration nationale.
Une formation par la pratique
« Presqu’aucun des correspondants du réseau n’avait auparavant d’expérience de presse écrite, encore moins en français », témoigne Gotson Pierre. Ils ont été rodés lors de deux sessions de formation journalistique, en septembre 2010 et juillet 2012, date à laquelle le réseau a été renforcé avec 4 correspondants (dont 3 femmes) spécifiquement établis dans les zones frontalières (Fonds-Verrettes, Anse-à-Pitres, Belladère et Ouanaminthe). « Nous les invitons à Port-au-Prince pour des séminaires, mais également pour une période de stage, pour qu’ils comprennent mieux la ligne éditoriale de l’agence, la précision demandée dans la récolte et le traitement des données, la réécriture, les questions que nous leurs posons sur leurs textes,… c’est un véritable espace de formation », s’enthousiasme Gotson Pierre. Une dynamique qui continue lors des propositions de sujets, des discussions sur les corrections apportées, une fois que les correspondants sont retournés chez eux. « Avant, je n’écrivais pas en français. J’écrivais en créole, en anglais, mais pas vraiment pour la presse écrite. C’est une très bonne collaboration pour moi, c’est comme une formation continue », témoigne Renel Audate. Correspondant dans le plateau central, ce dernier avait déjà une expérience dans les radios locales ainsi que dans des radios communautaires à New-York.
La force de l’écrit
« Nous leur demandons d’aller plus loin que le factuel, même si évidemment ils partent des faits. Certains d’entre eux font des progrès très rapidement », explique Gotson Pierre. « C’est un travail plus exigeant, qui demande beaucoup d’efforts pour trouver des sources d’information, témoigne Renel Audate. Mais le fait d’être relié à ce réseau me renforce aussi dans ma capacité d’accès à l’information, ce qui n’est pourtant pas évident. » Le correspondant situe également la différence dans l’impact de son travail pour l’agence. « L’écrit n’a pas le même impact, il est moins éphémère que les paroles. Grâce à la diffusion sur le site d’AlterPresse, les gens connaissent mes textes jusqu’à l’étranger ». Certains articles permettent ainsi de mettre à la Une des zones reculées absentes de l’actualité. « Il y a des zones où ils ne voient jamais arriver ne fut-ce qu’une voiture, et pourtant je vais parler d’eux ». Il n’est pas rare que des gens viennent de zones très reculées, à pied ou à cheval, pour demander à Renel Audate de venir constater leur situation et en témoigner. « Pour eux, lorsque c’est écrit, la parole va plus loin. Quand on écrit, on explique mieux la situation, ce n’est pas un simple scoop, c’est important d’avoir ça aussi pour les provinces ».
Un chemin difficile
Une des difficultés est d’obtenir des photos, car les correspondants ne sont pas encore outillés pour cela. Mais les difficultés peuvent également être d’ordre politique. « Parfois, les correspondants vont parler d’un sujet ou d’une personne sans se rendre compte de l’impact que la diffusion de l’information peut avoir au niveau local, et veulent se rétracter. Certains reçoivent des menaces », témoigne Gotson Pierre. En effet, les correspondants locaux sont encore plus isolés face aux menaces que les journalistes à Port-au-Prince et ce travail est dès lors plus difficile encore à assumer. « Il faut prendre certaines précautions face aux potentats locaux, continue le directeur d’agence. Sur certains sujets sensibles, nous ne mentionnons pas les sources, comme par exemple la coupe massive des arbres. Nous n’avons pas vraiment de gros problèmes à ce niveau, nous voulons juste rester vigilants et attentifs à cela ».
Ce travail est également gratifiant. Parfois, grâce à la diffusion des informations, les autorités centrales ne peuvent plus ignorer certaines réalités. « A Belladères, il y avait un problème avec un hôpital public qui fonctionnait très mal, par manque de ressources humaines, manque de matériel. L’article a fait beaucoup de bruit, aussi au niveau local. Les autorités sont alors intervenues et il y a eu des améliorations », témoigne Gotson Pierre.
« Aux Gonaïves, poursuit-il, un projet de reconstruction qui impliquait des Haïtiens et des Américains, consistait à installer des centaines de milliers de maisons en bois. Notre correspondant nous en a informé et nous avons appris que le bois choisi était du bois « mort » infesté de vermines. Les gens du projet ont fini par reconnaître que le projet avait des problèmes, et les américains qui fournissaient le bois, vu l’ampleur que prenait cette info , se sont retirés. Jusqu’à ce jour, le bois n’a pas été importé ». Renel Audate, qui a couvert l’éclatement de l’épidémie de choléra dans le plateau central imputée à la Minustah (la force des Nations-Unies en Haïti) qui jusqu’à ce jour ne reconnait pas sa responsabilité, perçoit quand même aujourd’hui l’impact de son travail. « Notre vigilance les amène à faire plus attention aujourd’hui», explique le correspondant.
Reliée à une agence de presse, la production de ce réseau peut avoir un impact sur l’ensemble de l’information en Haïti et sa dynamique de formation rejaillir sur d’autres médias qui collaborent avec ces correspondants.
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(*) le Collectif Haïti de France, International Media Support.